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Photo : Shutterstock

Le cœur reprisé

Il y a des histoires du passé que tu arrives à oublier. Il y en a d’autres qui reviennent te hanter, année après année. Mon histoire fait partie de la deuxième catégorie. Elle débute par un couteau sur la gorge mais se termine, 30 ans plus tard, par un cœur reprisé.

L’année des premières

J’avais 18 ans et j’étais heureux. J’habitais à Montréal, sur le Plateau, rien de moins. Depuis mon entrée au secondaire, je rêvais de déménager dans la grande ville, là où tous les rêves étaient permis. C’était l’année des premières: premier appartement, premier amoureux, première épicerie en solo, première année au bac. C’était également l’année des découvertes! Je visitais les différents quartiers de Montréal et je me tenais chez les disquaires de l’avenue du Mont-Royal pour y dénicher des vinyles rares.

Le 5 décembre, j’allais ajouter une première. Moins heureuse celle-là.

Je me souviens encore de l’odeur d’humidité, d’huile et de cigarette de son camion. Je me souviens aussi de la froideur du couteau qui avait été mis sur ma gorge quelques minutes auparavant, lorsque je buvais de l’eau à un abreuvoir de l’université que je fréquentais. L’homme était venu derrière moi et avait mis la lame tranchante sur ma gorge. Il me l’avait ensuite enfoncée dans le poignet, tout en me tenant la main. Il m’avait dit: tu fermes ta gueule, pis tu me suis. La marche a peut-être duré trois ou quatre minutes, mais avec la lame qui coupait la peau de mon poignet, ça a semblé durer une éternité.

Arrivé devant son camion, il m’a jeté à l’intérieur d’un bon coup sec. Il a enlevé mes vêtements d’une main et a remis son couteau sur ma gorge. Il a abusé de moi. Je me souviens que je me suis mis à compter dans ma tête. 1-2-3-20-60-80… Je ne me souviens plus jusqu’à quel chiffre je me suis rendu. Pas pleurer, faut pas pleurer. Pas crier, faut pas crier. Fais juste endurer, Alex. Endure. Il ne disait pas un mot lui non plus, mais il gémissait. Il aimait ça. Quand il a terminé, il a ouvert la portière, m’a jeté dehors, nu, a ensuite lancé mes vêtements sur le trottoir et est parti à vive allure.

Je ne sais pas comment j’ai fait, c’est flou dans ma tête, mais je me suis mis à courir dans le froid de décembre jusqu’à l’appartement de mon amoureux, qui habitait à sept stations de métro de là. J’ai couru et j’ai couru, comme un zombie qui ne pense à rien, qui est figé mais qui ne peut s’empêcher de courir.

Arrivé chez lui, je me suis effondré sur son plancher et je ne comprenais plus rien. Je n’arrivais pas à parler et je ne savais pas pourquoi. J’avais des coupures à la gorge et aux poignets et j’avais mal, oh vraiment très mal aux parties de mon corps qu’il avait maltraitées. Je me suis mis à pleurer sans pouvoir m’arrêter et je suis resté muet pendant des heures. Mon amoureux était là, il voulait me consoler, me questionner, mais je ne voulais pas d’aide, je voulais juste avoir la paix, fermer les yeux et oublier tout ça.

Alex à 18 ans.

Bonne fête maman

Après un certain temps, j’ai ouvert mes yeux et j’ai regardé l’heure. Il était passé minuit. On était donc le 6 décembre, le jour de l’anniversaire de ma mère. Cette réalisation m’a fait encore plus mal que ce que je venais de vivre. C’est comme si j’avais été poignardé. J’avais gâché son anniversaire. Je me sentais sale et coupable. Coupable d’avoir ajouté du gris à une journée qui devait être multicolore. Coupable de ne pas être le bon fils aimant, heureux et qui n’a jamais causé de problèmes et de sérieuses inquiétudes. Je m’en suis voulu pendant des années. Trente ans plus tard, même si je comprends que je n’y suis pour rien, cette pensée vient toujours me hanter la soirée du 5 décembre.

J’ai eu le courage de raconter cette histoire à ma mère, en omettant certains passages, quelques détails. Cela l’a heurtée. Je me souviens qu’elle avait dit qu’elle aurait préféré que ça lui arrive à elle, pas à son fils qu’elle aime tant. Elle a su me rassurer, les yeux mouillés et s’est inquiétée de mon bien-être. Je ne sais pas si elle y pense encore, mais je crois que oui. Forcé par mon amoureux de l’époque, je suis allé à l’hôpital. Je me souviens du regard de cette infirmière qui essayait de comprendre. Je sentais son empathie et son inconfort. Mais moi, j’avais honte et je voulais que tout cesse. Tout va bien. Ne vous en faites pas, je vais bien. On m’a fortement conseillé de consulter le psychologue de l’hôpital dès le lendemain. J’y suis allé, j’ai souri, j’ai prétendu que j’étais en pleine forme et je n’y suis jamais retourné.

Quatre années sans vieillir

Les quatre prochaines années furent les plus difficiles. Le temps s’est arrêté. Je rejetais l’amour qu’on voulait me donner. J’ai été salaud avec mon amoureux, qui ne voulait que m’aider, et je me suis excusé 10 ans plus tard. C’est comme si je n’arrivais pas à accepter le bonheur, comme si je ne le méritais pas. Lorsque je rencontrais ma famille ou mes amis, je portais mon masque du Alex en forme, mais mon cœur était à vif. Les plaies étaient bien ouvertes.

On ne pouvait m’approcher par derrière. Je sursautais et je devenais tendu et bête. Je n’acceptais pas non plus qu’on touche à mon cou.

J’avais peur. Je le revoyais, cet homme. Je pensais l’apercevoir à chaque coin de rue. Je sentais son odeur. Je voyais son camion et sa silhouette. Et s’il me faisait encore la même chose? Je ne retournais plus dans le corridor où ça c’était passé et je m’inventais des chemins différents pour retourner à mon appartement. Pour être encore plus certain, j’ai déménagé. Puis redéménagé.

Mon histoire, je la gardais pour moi. Ne fallait surtout pas que j’en parle. Il ne souffre pas Alex, oh non! Il ne veut surtout pas déranger et inquiéter les autres. Alors, il sourit.

Quatre années à vivre comme cela. À faire des cauchemars et à repousser les gens.

Comme quand j’étais ado, c’est la musique qui m’a sauvé. Je plongeais dans un autre monde et je trouvais mon réconfort dans les mots. Les paroles et la musique m’apaisaient.

Xiao bai

Un jour, une personne m’a regardé droit dans les yeux et a compris ma détresse. Il avait compris mon petit jeu, ma façade. Il n’a pas voulu me sauver ou me réconforter. Il m’a simplement aimé. Et j’ai appris à aimer. Je l’ai même marié! J’étais son petit xiao bai, comme il me surnommait en mandarin. C’était le nom d’un personnage de dessin animé qu’il adorait. Peu à peu, les points de suture de mon cœur se sont refermés, mais il en reste toujours un et j’apprends à vivre avec. Encore à ce jour, il y a des moments plus difficiles mais maintenant, ce n’est plus une façade: je vais bien. Je vais mieux en tout cas.

Le secret

Je n’ai jamais osé parler de cette soirée du 5 décembre à mes proches. Par honte, par peur de les blesser et pour ne pas avoir à répondre aux questions. C’est comme si je voulais qu’ils gardent une image positive de moi.

Il m’est arrivé de consulter des psychologues, mais j’ai arrêté avant même qu’ils puissent m’aider. Je n’étais peut-être pas prêt? Je ne sais pas…

Moi aussi, moi aussi!

Le mouvement #metoo a suscité de nombreuses discussions autour de moi. Mes amis et collègues en parlaient beaucoup et chacun avait sa propre opinion. Pourquoi en parler quand c’est arrivé il y a 25 ans? Ils et elles cherchent l’attention. C’est assez! Je n’ai jamais su quoi répondre. Je n’étais quand même pas pour crier: moi, moi, ça m’est arrivé à moi aussi! J’avais pourtant la réponse: non, ça ne s’oublie pas. Oui, on y pense constamment, même si l’on croit avoir fait la paix avec ça. Une odeur, une voix ou un regard et on replonge dans ce cauchemar. On ne veut pas que ça nous arrive de nouveau et surtout, que ça arrive à d’autres.

En parler, c’est libérateur. Moi, j’ai décidé d’écrire. J’ai déjà essayé d’en parler avec une collègue, mais cela m’a fait plus de peine et de mal qu’autre chose. Je suis retombé dans mon pattern du Alex qui va toujours bien et je me suis détesté. J’ai plus de facilité devant mon clavier.

Est-ce que j’aurais dû parler dès le début? Est-ce que j’aurais dû continuer de consulter? J’ai décidé d’arrêter de me poser ces questions. Elles m’ont fait trop de mal. C’est mon histoire, mon passé et je ne peux le changer. Cependant, j’ai maintenant la force d’écrire sur cet événement et d’en parler plus ouvertement.

J’ai 48 ans et je peux enfin me regarder dans le miroir et me dire: Bravo Alex! Je suis fier de l’homme que je suis devenu: un homme sensible, hyper sensible même, qui travaille fort pour réaliser ses rêves. Je m’assure que tous ceux qui m’entourent aillent bien et je choisis des personnes dans mon cercle d’amis qui m’apportent du positif. J’ose penser que j’apporte du bonheur à ceux qui me côtoient. Je continue d’avoir la tête dans les nuages et les pieds bien ancrés au sol. Je suis fier de la personne que je suis devenue.

Cet événement ne me définit pas. J’ai appris, avec le temps, qu’il faisait simplement partie de mon parcours et qu’il a forgé l’être humain que je suis devenu.

C’est mon histoire, mais c’est aussi celle de bien des jeunes femmes et hommes. Je leur souhaite de trouver l’étincelle qui fera d’eux des personnes heureuses.

Vous n’êtes pas seul

Je me suis senti bien seul dans cette expérience. Je ne connaissais personne ayant vécu quelque chose de semblable. Maintenant, des ressources, il en existe plusieurs. N’hésitez pas à les consulter.

Info-aide violence sexuelle: Service téléphonique ouvert 24h/24h. 1 888 933‑9007.

Interligne: soutien aux personnes LGBTQ+ et à leur proche 24h sur 24h.

Projet 10: Organisme qui promeut le bien-être personnel, social, sexuel et mental de tous les adolescents âgés de 14 à 25 ans.

Liste de ressources d’aide partout au Québec pour personnes ayant subi une agression sexuelle.

 

Hey, les gars… on peut s’en sortir.

 

 

 

 

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