À 11 ans, j’ai fait une rencontre qui a changé ma vie et qui lui a donné sa couleur. Laissez-moi vous la raconter.
J’étais assis dans l’autobus scolaire à discuter avec ma soeur Sophie et quelques amis. On se remémorait nos vacances de Noël. Certains d’entre nous avaient hâte de retourner à l’école et d’autres appréhendaient ce moment depuis quelques jours. J’étais, à l’époque, dans un programme intensif nommé bain linguistique. J’avais complété tout le programme de sixième année en cinq mois et j’allais débuter ma session intensive en anglais. Cela m’effrayait un peu, mais l’idée de vivre une nouvelle expérience me plaisait.
Arrivé dans la cour d’école, je fis la connaissance de ma nouvelle enseignante, Mme Savignac, celle qui allait changer ma vie. Telle la mystérieuse Mademoiselle C, Mme Savignac était une femme passionnée, dynamique, souriante, exigeante et, avouons-le, un peu folle. Habillée une journée en fermière et une autre en policière, elle nous jouait la comédie. Si l’on discutait de fruits et de légumes, elle nous faisait concevoir notre propre fruiterie et l’on jouait à vendre des aliments à nos camarades de classe. Tout ça, en ne parlant qu’en anglais évidemment! Je me souviens également d’un avant-midi où je devais construire un train géant en carton. Il allait d’abord servir à connaître les notions du cercle, la conversion des unités de mesure et le vocabulaire relié aux trains puis il servirait de décor pour une future pièce de théâtre.
Un matin de printemps, Mme Savignac nous a demandé de garder nos manteaux chauds et nous sommes partis à la découverte de notre quartier, des règles, des papiers et un crayon à la main. Chaque élève était responsable d’une rue et il devait mesurer les bancs, les lampadaires, les maisons, la hauteur des bornes-fontaines et tout le mobilier urbain. Quel travail! De retour à l’école, à l’aide de berlingots de lait vides, de papier construction et de bâtons de popsicle, nous devions créer une maquette du quartier. Cela peut paraître fou, mais en une journée, j’ai appris les termes mathématiques anglais de mesure, le travail en coopération efficace et j’ai rapidement découvert que la colle chaude, ça brûle!
Dans le but d’apprendre à rédiger une lettre en anglais, Mme Savignac nous a proposé d’écrire à la caserne de pompiers, au poste de police de la ville, ainsi qu’à diverses compagnies, afin de leur demander la permission d’aller visiter leur lieu de travail. Nous impliquer ainsi nous a rendus responsables. Quelle surprise ai-je eue, quelques semaines plus tard, de recevoir une lettre m’étant personnellement adressée, m’invitant à visiter le bureau de poste avec tous les élèves de ma classe!
Les chicanes étaient interdites dans la classe de Mme Savignac; elles étaient remplacées par des discussions et des compromis. Chaque soir, nous devions téléphoner à un élève différent afin de pratiquer quelques phrases en anglais. Cela a nécessairement créé des liens avec tous.
Cette demi-année en anglais intensif fut magique. J’ai eu la chance d’avoir une enseignante qui me donnait le goût d’aller à l’école et qui avait compris que les deux mains dans la pâte, l’apprentissage se fait rapidement. C’est à la fin de ma sixième année du primaire que j’ai réalisé que je désirais, tout comme elle, allumer des étincelles dans les yeux des enfants.
C’est à mon tour d’enseigner et je le fais depuis 17 ans. Je réalise à quel point Mme Savignac a eu une énorme influence sur moi. Régulièrement, debout devant mes 20 élèves, je pense à elle en me demandant comment elle aborderait certaines notions. Son côté créatif, toujours prêt à explorer divers projets, est ancré en moi.
Il y a des enseignants de qui l’on garde un bon souvenir. Il y a ceux qu’on a moins aimés et il y a ceux, plus rares, qui nous ont marqués.
Mme Savignac, vous qui êtes tout là-haut, merci.
Il y a un peu de Mme Savignac en chacun de nous. Peu importe notre métier, essayons d’y ajouter quelques brins de folie!