C’était un 23 décembre. Comme tous les Noëls, en bonne Montréalaise qui n’a pas de voiture, je m’en étais loué une afin d’aller passer Noël au Lac-Saint-Jean avec ma famille. Dès le début décembre, je commençais habituellement à angoisser en pensant aux 5 heures de route j’allais devoir faire si je voulais être heureuse pour le temps des Fêtes. Je stressais, car au fil des années, je crois que j’avais tout rencontré comme météo et comme situations déplaisantes. Les tempêtes de verglas, le manque de frein dans une zone sans cellulaire, les tempêtes de neige…
Une fois, j’ai même dû venir en aide à une petite famille dont la voiture était sortie de la route pour prendre le beau paysage du parc de la Mauricie. La plupart du temps, j’affrontais la route seule. Il m’est arrivé de donner un lift à une amie, mais une fois sur deux, je me baladais en chantant fort pour me donner du courage. La glace noire est fréquente sur le bord de la rivière Saint-Maurice et je ne voulais surtout pas déraper.
Donc le 23 décembre, j’ai ouvert mes rideaux et j’ai constaté avec peu d’émoi que Dame Nature avait encore décidé de me faire suer cette année en nous balançant par la tête la plus terrible des tempêtes de neige. Je suis tout de même allée chercher la voiture au centre de location. Revenir avec fut encore plus rocambolesque que dans mon imagination. De retour chez moi, j’ai regardé la météo. On annonçait du grésil et du verglas… JOIE! J’ai appelé mon père à Roberval et il m’a dit de ne pas prendre la route. Que c’était trop dangereux. J’ai obtempéré et j’ai décidé que j’attaquerais le chemin le lendemain. J’ai laissé la voiture dans un virage de ma rue qui serpentine le Mont-Royal. Si tout allait bien, j’allais pouvoir la récupérer le lendemain sans soucis.
Vers 19 heures, tout était devenu calme. La tempête et son fabuleux cocktail s’étaient calmés. Le temps était doux. J’ai donc décidé d’aller déneiger la voiture question de pouvoir prendre la route tôt le lendemain et d’arriver juste à temps pour Noël. J’ai donc pris ma pelle de Montréalaise qui ne déneige jamais et je me suis rendue à ma voiture… OH MY GOD!!! Premièrement où était la voiture? Et deuxièmement, mais à quoi j’avais pensé de la stationner dans un virage? La voiture, il n’y en avait plus. Ou peut-être que si, mais sous au moins 6 pieds de neige. Comment faire pour s’y rendre? La déneigeuse avait mis toute la neige de la rue devant elle. Entre la voiture et moi, il y avait au moins 8 pieds et le banc de neige m’arrivait en dessous des bras. J’ai soupiré de découragement. J’ai pris ma pelle et je l’ai plantée dans la neige. OH LA GALÈRE! La neige était lourde et pleine d’eau. Bonjour l’hiver au Québec! J’ai tout de même commencé mon labeur. J’ai pelleté pendant 2 heures pour ne me faire qu’un petit chemin jusqu’à une roue de la voiture. Si je voulais partir le lendemain, j’allais sans doute y passer la nuit. J’avais chaud et soif. Je suis rentrée boire un gallon d’eau et je suis ressortie juste à temps pour voir la déneigeuse en rajouter une couche et s’acharner sur mon banc de neige. Un classique. JOIE!
Deuxième soupir de découragement.
Mon travail des deux dernières heures n’existait plus. Mais ce n’est pas vrai que j’allais tout laisser tomber. Je plantai ma pelle de toutes mes forces dans la neige et elle cassa. Non, non, non, non… Les yeux écarquillés, je ne pouvais y croire. Même elle m’avait lâchée.
Troisième soupir de découragement.
J’ai grimpé sur mon banc de neige et je me suis assise dessus. Je me suis mise à pleurer de toutes mes forces. Vous allez dire: elle est donc ben intense, c’est ça l’hiver, c’est juste un banc de neige! Ben oui, c’est juste un banc de neige, mais affronter les bancs, tous les bancs de neige que la vie m’envoie, toute seule, je suis fatiguée, je n’en peux plus. Cette montagne de glace était l’image même de toute les petites affaires que ce que j’avais dû surmonter seule depuis que je suis célibataire. J’ai beau être faite fort, mais là, j’ai abandonné. Je me suis dit que je laisserais la voiture là jusqu’au printemps.
Ça coûtera le prix que ça coûtera, je m’en fous. Je passerai Noël toute seule. Ça a d’l’air que c’est ça ma vie de toute manière. Je vais arrêter de me battre, de toute façon ça ne sert à rien. Je baisse les bras. À quoi bon s’acharner.
Tandis que je pleurais, un autre tracteur à neige est arrivé. Bon, c’était quoi ça encore. J’ai vu l’ombre d’un homme dans la cabine vitrée du petit monstre. Il me faisait signe de me tasser. Bon, il n’y a pas assez neige? Il veut en ajouter?
Vas-y, bonhomme! Si tu t’appliques, je suis certaine qu’il y a encore de la place pour en ajouter!
Je descendis donc de ma montagne avec ma pelle cassée et le tracteur commença à tasser la neige. Ben voyons? Il fait quoi? Il m’a fallu quelques minutes pour constater que le monsieur déneigeait ma voiture tout simplement. Un coup le travail terminé, je lui ai crié: Mais merci! Pourquoi avez-vous fait ça? Et il m’a répondu: J’étais en haut de la rue en train de déneiger chez un client quand je vous ai vu assise sur votre banc de neige. J’me suis dit que vous n’y arriveriez jamais toute seule. Des fois, on a besoin des autres un peu pour s’en sortir. Je vous souhaite un très joyeux Noël, madame!
Et il est reparti…
Je ne sais pas si les anges existent, mais je crois que certaines personnes ont des antennes plus sensibles que les autres quand vient le temps de sentir la détresse humaine. Ce monsieur, ce soir-là, n’a pas juste essuyé mes larmes avec quelques coups de sa pelle mécanique. Il m’a fait comprendre que lorsque tu penses être seul au monde, il y a toujours quelqu’un quelque part pour te tendre la main. Il faut juste ouvrir les yeux, même s’ils sont remplis de larmes, et faire confiance.
C’est le sourire aux lèvres et le ciel plein de soleil que j’ai pris la route le lendemain. Je suis arrivée juste à temps pour le réveillon et j’ai passé le plus merveilleux des Noëls.
Depuis, je prends le train.
Je vous souhaite de merveilleuses Fêtes. Prenez soin de vous!