J’ai toujours voulu être enseignant. En fait, je ne me suis jamais posé la question, ça allait de soi. Est-ce génétique? Peut-être. Après tout, ma grand-mère Gratia fut enseignante dans une école de rang, à la Émilie Bordeleau. Ma mère, elle, a enseigné au préscolaire et à des enfants souffrant d’une déficience intellectuelle. Quant à mon père… laissez-moi vous parler de lui.
On se replonge à la fin des années 60.
C’est une cigarette à la main et à bord de sa Volkswagen noire 65 que mon père, Robert, allait travailler à l’école secondaire Thérèse-Martin à Joliette. Il y enseignait l’histoire en secondaire 5, une matière qui le passionne toujours autant. Alors que lui portait une tenue classique, la majorité des étudiants, eux, portait des jeans. Quelques années auparavant, le port de jeans à l’école avait été revendiqué par les élèves, qui avaient fièrement gagné leur bataille. Pour les filles qui désiraient porter une jupe, pas question qu’elle ne cache pas les genoux, ce serait indécent!
C’est devant une trentaine d’élèves placés en rang d’oignon qu’il enseignait. On est loin de ma classe où l’on retrouve des bureaux, oui, mais aussi un coin lecture avec divan et chaises confortables, des tables pour les ateliers et un coin d’art. Mon père étant un conteur né, je l’imagine très bien leur raconter l’histoire des grands de ce monde, des changements importants de l’histoire et des guerres. Les élèves ne pouvaient qu’écouter ses paroles. Je le connais, il parle toujours avec passion des sujets qui l’intéressent. On ne peut, encore aujourd’hui, que s’accrocher à ses lèvres et suivre ses récits.
Si monsieur Marsolais (on devait l’appeler ainsi) désirait faire entendre une piste audio aux élèves, il devait sortir son énorme enregistreuse à bandes sonores. Il avait aussi la possibilité de présenter des images sur un rétroprojecteur et des films 16 mm sur un écran blanc ou, quelques années plus tard, sur un magnétoscope branché à un téléviseur à roulettes. De nos jours, place aux TNI, aux fichiers mp3 et aux Blu-ray!
Quelques années avant le début de sa carrière, il y a eu un changement majeur dans le milieu de l’éducation: l’arrivée des classes mixtes. Les filles allaient côtoyer les garçons, mais pas encore question de travailler en équipe: les cours magistraux étaient de mise. On est loin de la pédagogie pratiquée dans nos écoles de nos jours!
Mes élèves suivent leur cours d’éducation dans le gymnase du centre sportif ou celui de l’école. Ce n’était pas le cas à l’époque où mon père enseignait. Le sport se faisait à l’extérieur. On ne retrouvait ni gymnase ni auditorium dans les écoles. Beau temps, mauvais temps, allez hop, à l’extérieur!
L’éducation change et évolue selon les technologies, les modes, les recherches et la vision des gouvernants. Cependant, une chose demeure: la passion de l’enseignement. Mon père l’a toujours eue et me l’a transmise. Ce n’était pas qu’un enseignant, mais un conteur au grand cœur et aux oreilles toujours ouvertes, pour qui les relations interpersonnelles prenaient une place primordiale.
Impossible de marcher dans Joliette avec mon père sans entendre « oh, bonjour monsieur Marsolais, j’ai été votre élève et je garde tellement de bons souvenirs. » Mon père les salue, souvent par leur prénom.
Je repense à tout ça et je peux affirmer que comme lui, comme ma mère et comme ma grand-mère, l’enseignement, j’ai ça dans le sang.
Merci papa, tu peux compter sur moi. «Monsieur Alex» prend la relève de «monsieur Marsolais»!