Il y a quelques semaines, une amie d’enfance m’a contactée afin de savoir si ça me disait qu’on organise une rencontre avec des expats du Lac-Saint-Jean qui étaient rendus dans le coin de Montréal. Pourquoi pas? On a trouvé une date, on s’est formé un mini groupe sur Facebook, on a discuté de qui on invitait, qui était dispo, à savoir si on emmenait les enfants… Est-ce que les conjoints étaient conviés? Pis surtout, où est-ce qu’on allait faire ça? Nous avons convenu de faire ça à Saint-Sauveur puisque plusieurs habitent dans le nord. En fait, il n’y a que moi qui habite la grande ville, donc ça réglait pas mal le problème.
Ça faisait 15 ans que nous ne nous étions pas vus. La dernière fois remontait à notre conventum de 10 ans. Une super soirée où nous nous sommes retrouvés à la salle des Chevaliers de Colomb de notre petite ville. Presque tous les finissants de 1990 étaient venus. D’ailleurs la chanson du même nom de Jean Leloup avait résonné plusieurs fois pendant cette soirée. Elle avait été l’hymne marquant la fin d’un passage lors de notre bal des finissants du secondaire, 10 ans plus tôt.
Il y a eu plusieurs rassemblements par la suite, pour les 15 ans, les 20 ans, etc., mais je n’y suis jamais retournée. À cause du travail pis oui, je l’avoue, par manque d’intérêt. La plupart étaient en couple, certains étaient mariés, avaient des enfants et moi, que pouvais-je bien leur raconter d’intéressant? Je n’avais pas l’ombre d’une photo de quelqu’un dans mon portefeuille (dans le temps on faisait ça). Leur parler de ma job? OK, mais je l’avais fait une fois et après, on m’avait dit: OK, sans joke, que fais-tu VRAIMENT dans la vie? On a cru que je mentais. Ben coudonc!
D’où je viens, lorsqu’on commençait la maternelle avec un groupe, on terminait habituellement le secondaire avec le même groupe. Sauf si, dans le lot, il y avait des départs dus à un déménagement, à un doublage d’année, à un abandon ou à un suicide. Mais pour le reste, nous avons été ensemble, tous les jours de chaque année scolaire, pendant 12 ans. On a grandi ensemble, on a vécu les mêmes choses, les élans de bonheur comme les chicanes. Nous étions proches sans souvent avoir les mêmes affinités. J’appelle ce genre de relation des amitiés de proximité. Tu ne les as pas choisies, mais elles sont là. C’est comme vos voisins lorsque vous étiez petits. Ils étaient là, donc vous étiez amis et s’ils avaient une piscine, vous étiez les meilleurs amis du monde! Vos amitiés se développaient parce que vous étiez géographiquement compatibles. Les affinités et le reste, ça venait plus tard.
Nous avons convenu de nous voir un samedi soir. J’étais un peu nerveuse pis je l’avoue, je ne savais plus si ça me tentait encore vraiment. Qu’avions-nous à nous dire après tant d’années? Mais mon amie Maryse allait être là. Maryse, c’est ma plus vieille amie. Elle fut jadis une amie de proximité puisqu’elle habitait à un coin de la rue de ma maison. J’avais une piscine, mais chez elle, il y avait de gros arbres et ses parents nous laissaient grimper dedans. Un gros plus, puisque grimper aux arbres était strictement interdit chez moi. Nous ne nous sommes presque jamais quittées. Notre amitié géographique fut assez forte pour ne jamais s’essouffler, même s’il est arrivé que des kilomètres nous séparent.
Ça fait 40 ans qu’elle est dans ma vie. Je ne me souviens même pas du temps où elle n’y était pas. Bref, me sentant en sécurité avec elle, j’étais prête à rencontrer les autres.
Et les autres arrivèrent… Il a fallu quelques minutes avant de nous habituer. On se reconnaissait physiquement, mais c’était comme si on cherchait nos repères. Nos repères d’enfance qui n’y étaient plus. Mais cela n’a duré que quelques secondes. Maryse est arrivée avec son super cocktail aux litchis de Ricardo et la glace fut brisée… et après? La magie a opéré. Il n’y a eu aucun temps mort. On s’est donné des nouvelles, chacune a raconté où elle était rendue, puis nous avons parlé de nos anciens amis de l’école. Maryse a sorti son album de photos. Ce fut l’apothéose. Les filles ont montré des photos d’elles à leur chum (qui avaient été conviés finalement). On a eu une petite pensée pour Isabelle qui est décédée accidentellement lors sa première année de CÉGEP pis une autre pour Éric qui est décédé l’an dernier d’un cancer. Ils nous manquent. On est passé par de multiples émotions, mais on a beaucoup ri. Nous sommes redevenues, dans l’espace d’une soirée, les jeunes filles qui ont grandi ensemble. C’est comme si nous ne nous étions jamais quittées.
C’est ce qui m’a fait penser que les relations de proximité peuvent être aussi solides que celles que tu as choisies. En fait, notre solidité, nous la devons au fait que nous avons grandi ensemble, que nous avons reçu la même éducation, les mêmes valeurs et que nous avons les mêmes repères. En fait, nous avons reçu la même base puis c’est la vie qui nous a amenés vers d’autres destinées.
Est-ce que nous allons le refaire? Sûrement. Car lors de ce samedi soir à Saint-Sauveur, il s’est passé quelque chose. Les 15 ans de vie qui nous séparaient n’étaient plus. C’est ça les vraies amies. Avec elles, le temps n’existe pas. Et, le temps d’une soirée, il y a surtout eu ce sentiment d’être rentré un peu à la maison.